Une de nos lectrices nous a fait parvenir un article qui a paru dans le Devoir et qui décrit avec beaucoup de lucidité la grande incompétence qui inflige nos bureaucrates en ce qui a trait au milieu carcéral.
Nous sommes soulagés de voir que de plus en plus de gens de divers milieux décrient les absurdités dont nous sommes témoins au quotidien. Aussi, nous osons espérer que le gouvernement sera bientôt forcé de porter attention au côté réaliste des enjeux, au lieu de se plier aveuglement à la vision très étroite et uni factorielle de certains groupes de pression puissants et bruyants, qui proposent des solutions simplistes à des problèmes multi factoriels et complexes.
Le Devoir ÉTHIQUE ET RELIGION, lundi 11 février 2008, p. b6
Moins de cigarette, plus de prisons Quand Québec excelle dans la régression
Leclerc, Jean-Claude
Le Québec ne s'est jamais targué d'avoir le meilleur système carcéral au monde, et pour cause.
Les prisons, qui relèvent des autorités provinciales, comptent encore parmi les institutions oubliées de la Révolution tranquille. De rares efforts de modernisation ayant échoué dans le passé, pour les prisonniers comme pour les gardiens, rien ne semblait plus devoir changer. C'était sous-estimer la capacité de régression de la Sécurité publique.
Ce ministère, apprend-on, n'a pas trouvé d'autres moyens qu'un interdit pour y traiter le fléau du tabagisme, mais il dépensera plus d'un demi-milliard à bâtir quatre nouvelles prisons et à en rénover de vieilles. La première mesure plaira sans doute aux adeptes de la tolérance zéro, et la seconde réjouira les entrepreneurs et autres habitués des caisses électorales. Toutefois, il n'y a pas lieu d'applaudir.
La criminalité étant à la baisse au pays, notamment au Québec, on s'attendrait à voir diminuer le nombre des détenus. Or, au contraire, la population carcérale augmente. En mai, La Presse signalait que les prisons montréalaises débordent. Le mois suivant, un rapport confirme que les 16 établissements pour hommes avaient un taux d'occupation allant jusqu'à 116 %. Pareille situation, certes, est lamentable. Mais le Québec doit-il nécessairement enfermer autant de gens?
Cette «surpopulation» est attribuable à trois facteurs. D'abord, un tiers peut-être des détenus, souvent chroniques, ont des problèmes de santé mentale. On a fermé les anciens asiles psychiatriques, en effet, mais laissé à la rue nombre d'ex-patients. De nouveaux se sont ajoutés depuis. Et plusieurs se retrouvent en prison. Cet établissement ne leur donne pas les soins auxquels ils ont droit. On n'en fait pas grand débat, c'est pourtant un des pires scandales du système de santé.
Ensuite, bon nombre de gens y sont incarcérés même s'ils ne présentent pas un danger sérieux pour leur entourage ou la société. L'emprisonnement, croyait-on, ne servirait plus d'alternative aux amendes que maints infortunés sont incapables de payer. Vraiment? D'autres préféreraient, dit-on, passer quelques semaines à l'ombre, aux frais de l'État. En toute hypothèse, d'autres sanctions seraient préférables à la détention.
Enfin, maints prévenus en attente d'un procès sont aussi logés dans ces prisons. Les lenteurs de l'appareil judiciaire font encore que trop d'entre eux encombrent ainsi certains de ces établissements, réduisant d'autant le nombre de cellules disponibles pour les gens ayant à y purger une peine.
Bien sûr, de nouvelles prisons fourniraient des cellules supplémentaires pour loger tant les prisonniers que les simples prévenus. Mais les millions de dollars que l'on engouffrera dans leur construction, puis dans leur gestion, ne vont pas corriger ces politiques retardataires de santé et de justice qui envoient en détention des gens qui ne devraient pas y être.
(Bizarrement, le ministère voudrait aussi rouvrir la prison de Percé, fermée il y a une vingtaine d'années, et maintenant destinée, croit-on, à recevoir des délinquants sexuels. Les Gaspésiens ne seraient guère enchantés d'un tel projet. Les autres Québécois ne devraient pas l'être non plus. La déviance sexuelle est l'une des plus difficiles à corriger. Le système fédéral n'y parvient que fort peu. On se demande ce que Québec vient faire dans cette galère.)
Répression de la cigarette
Le public, il est vrai, souhaite des peines de prison sévères pour les criminels en complet-cravate qui volent les retraités et arnaquent les gens âgés. Si l'emprisonnement pouvait ramener plus de rigueur et d'intégrité dans les affaires, une prison ne serait pas de trop. En principe, les pénitenciers existent aussi pour ces criminels. Encore faudrait-il pouvoir compter ici sur un ministère plus compétent. Apparemment, la répression de la cigarette est plus urgente.
Ébranlé par les réactions du milieu à sa politique d'interdiction du tabac, le ministre, M. Jacques Dupuis, permettra aux détenus de fumer à l'extérieur. Mais une heure par jour ou même plus dans la cour de la prison n'allégera que bien peu la tension créée par l'interdit. Au contraire, la cigarette ayant un effet de calmant, l'interdit ajoutera au climat de nervosité collective qui règne dans certains centres.
Près de 80 % des prisonniers fument, souvent de façon intensive. Les détenus qui ne fument pas peuvent difficilement échapper à la fumée de cigarette. Il y a là un problème d'hygiène publique dont les autorités doivent se préoccuper. Mais le ministère n'a manifestement pas trouvé le programme qu'il importerait d'appliquer dans un tel milieu.
Au Canada, à compter de mai prochain, les pénitenciers fédéraux vont interdire l'usage du tabac. On y prévoit toutefois des groupes d'entraide pour les détenus et, à titre gratuit, des doses de nicotine sous forme de timbre ou de gomme, et même un médicament tel que le Zyban. Ce service s'ajoutera aux cours de formation et aux ateliers d'apprentissage professionnel. Ces détenus purgeant une peine de plus de deux ans, leur incarcération est mise à profit pour préparer leur réintégration sociale.
Rien de comparable n'existe dans les prisons québécoises. La plupart de leurs détenus y passent moins de trois mois, quitte à revenir de manière chronique. Et le Québec ne profite même pas de ces brefs séjours pour évaluer les besoins de santé, de formation ou d'intégration de cette population. Encore moins y réglera-t-on la dépendance au tabac en usant d'interdits.
Au contraire, même dans des conditions de liberté, la cigarette est un moyen de détente. Moyen très dangereux, mais quand même efficace. En contexte de détention, c'est un médicament vital. En sevrer d'autorité les détenus qui en sont profondément dépendants est une forme d'agression, agression plus grave encore que la fumée «secondaire» dont on veut préserver les codétenus et le personnel.
Le ministère entend offrir, comme dans les pénitenciers, des moyens de sevrage, mais il le fait aux frais des détenus, leur laissant l'embarras de se faire rembourser par l'assurance médicament. Ce programme, idéal pour des bureaucrates, ignore totalement la culture du milieu carcéral. Au reste, certains médicaments ou timbres à la nicotine sont peu efficaces. Et des personnes y sont réfractaires ou allergiques.
Les gardiens ont raison de craindre des problèmes de sécurité. Peut-être pas des émeutes, ni même de petites rébellions, comme celle qui est survenue à Orsainville, mais fort probablement des explosions de violence individuelle. (La Food and Drug Administration des États-Unis a diffusé, début février, un avis d'alerte à propos d'une pilule anti-tabac, le Champix, qui comporterait des risques de suicide, de dépression et de changement de comportement.)
S'il est un ministère qui devrait, autant que celui de la Santé, savoir ces choses-là, c'est bien celui de la Sécurité publique. Des gens émotivement perturbés commettent des crimes après avoir négligé de prendre leur médicament ou à cause d'une mauvaise médication. D'autres se retrouvent en cour, sinon en prison, pour avoir voulu soulager leur souffrance en prenant des drogues illicites.
Quand de tels problèmes impliquent directement un policier, un procureur ou un juge, les autorités font souvent preuve de compréhension. Avec raison. Pourquoi alors traiterait-on les problèmes des autres à coup de répression et n'aurait-on pour eux d'autre solution que l'incarcération?
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
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INTERDICTION DE FUMER DANS LES PRISONS
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12 hours ago
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