Thursday 17 January 2008

DICTATURE DE LA VERTU

Nous vous proposons un article de l’écrivain Anne Parlange qui nous exprime son opinion en ce qui a trait à ‘’l’épidémie’’ de l’hygiénisme sanitaire qui afflige nos sociétés contemporaines.

Elle dénonce sans réserve, l’hypocrisie qui habite ces ‘’biens pensants’’ qui se leurrent, ou plutôt, leurrent les crédules, en leur promettant l’éradication du mal et en humiliant ceux qui le commettent.

Au nom d’un but noble, qui ne sera jamais atteint, car l’histoire nous enseigne que la coercition a toujours produit des résultats contraires de ceux que l’on visait, on tente de façonner la société en marchant dans les traces que les adeptes de l’eugénisme d’une époque plus sombre, ont laissé derrière eux.

Point salut pour les impurs qui doivent être punis et exposés pour ce qu’ils sont : un mauvais exemple qu’on ne doit jamais imiter au risque de devenir à notre tour des impurs indésirables et d’en mourir.


Bonne lecture.

Eradiquer, disent-ils..., par Anne Parlange

L'inclination hygiéniste et puritaine des Etats-Unis accouche, tous les soixante-dix ans environ, d'un diable à pourfendre. Dans les années 1850, l'alcool fut désigné comme le monstre à abattre. Dans les années 1920, il fut totalement prohibé, avec le succès que l'on sait. Les adorateurs de la vertu s'attaquèrent, en 1990, au tabac. Avec un certain retard, l'Europe a suivi, non en raison d'une quelconque directive ou d'un règlement bruxellois honni, mais par une imitation qui a, de la bien-pensance, le caractère moutonnier et vindicatif.

Un délectable sadisme social s'applique désormais aux fumeurs, contraints d'offrir, dans le froid glacé, le spectacle de leur intimité mise à nu. Il y a quelque chose d'obscène dans ces troupeaux de misérables, rassemblés au pied des bureaux et des tours pour exposer au mépris général leur honteux vice, rendu ridicule par la hâte et l'effet de horde. Modernes bannis, à qui il ne manque plus qu'une crécelle ou une rouelle, désignés à la réprobation des "purs" aux poumons tout roses et au souffle parfumé qui tiennent désormais le haut du pavé.

René Andrieu, le brillant éditorialiste du quotidien L'Humanité, au temps où le Parti communiste ralliait les suffrages d'un électeur sur quatre, avait coutume de remarquer qu'il n'existait, aux yeux des conservateurs, que trois sortes de bons communistes : les communistes étrangers ; les communistes repentis ; enfin les communistes morts. Il semble que, pour les non-fumeurs triomphants d'aujourd'hui, il n'existe, pareillement, que trois sortes de fumeurs acceptables. Le cinéaste David Lynch est étranger, tout comme Fidel Castro. Sigmund Freud, qui mourut d'un cancer de la gorge à cause de ses cigares, Winston Churchill, André Malraux, Melina Mercouri et bien d'autres ont rejoint la demeure de leurs pères et de leurs mères sans avoir connu l'opprobre qui frappe les fumeurs de 2008.

Reste les fumeurs repentis ou repentants. Avec une hypocrisie fascinante, c'est eux, et exclusivement eux, qu'interrogent les grands médias. Leur unanimité est touchante : les yeux humides, tous confessent qu'ils sont d'anciens fumeurs en puissance, ne rêvent que d'arrêter et remercient la maternelle puissance publique qui les protège d'eux-mêmes. Pas une voix discordante dans cette propagande bien orchestrée, qui dégouline de bons sentiments et où paraît, dans toute sa splendeur, la vertu, appuyée, nous dit-on, par des sondages formels : tout le monde est pour, voui, Madame, même les fumeurs !

La réalité est bien sûr différente. L'éradication totale du tabac des lieux de rencontre accoutumés est vécue par beaucoup comme une disposition liberticide et excessive, qui est moins le signe du souci de protéger la santé que de la volonté d'habituer les gens à voir rogner les libertés individuelles et à leur assigner un statut d'enfant, de mineur incapable de se gouverner sans l'ombre tutélaire de la loi. Intrusive et totalitaire, celle-ci dépasse les bornes.
Pourquoi ne pas avoir, comme en Belgique ou en Espagne, laissé le choix aux établissements de se déclarer fumeurs ou non-fumeurs ? Au nom de quelle idéale pureté obliger tout le monde à vivre de la même façon ? Si un patron de bar fume, pourquoi empêcherait-il ses clients de sacrifier à leur goût ? L'hygiénisme a bon dos. Sans barguigner, d'ailleurs, il s'accommode d'une pollution galopante et de bien d'autres causes de mortalité précoce.

DICTATURE DE LA VERTU

Non, non, c'est le tabac qu'il faut éradiquer, toutes affaires cessantes, c'est lui qu'il faut flétrir, c'est sur lui qu'il faut polariser toutes les tendances haineuses que recèle une société. Le fumeur, voilà l'ennemi ! De doctes professeurs agitent le spectre des infarctus du myocarde - il est urgent d'en faire reculer le nombre, Monseigneur -, de pontifiants ministres assurent que la santé publique est à ce prix et que le cigare de ce pauvre André Santini fait courir des risques aussi mortels que, tenez, la réception d'une lettre recommandée vous annonçant sans coup férir votre licenciement, ou les gaz d'échappement des automobiles placés juste à la hauteur des poussettes des bambins.

L'écrivain Eugène Le Roy disait que "les jeunes médecins font les cimetières bossus". Les apprentis sorciers de 2008 appliquent une médication radicale qui, croient-ils, supprimera progressivement l'usage d'une drogue en vente libre, au moins pour l'instant. Leur rêve d'une société exempte de ce qu'ils considèrent comme un vice intolérable ressemble à un cauchemar. La dictature de la vertu n'a jamais, sous aucun ciel, produit que des vices pires encore, couverts du manteau de l'hypocrisie et de la violence sociale.

Les assurances vont bientôt s'engouffrer dans la brèche, proposant, à l'aide de la médecine prédictive, des produits pour purs et des produits pour impurs - pouah ! par ici la monnaie s'iou plaît. La convivialité, la tolérance, la solidarité, le vivre ensemble, le tissu social, qu'est-ce donc que ces vieilleries ? La vertu, vous dis-je ! J'ai bien peur que notre monde ne ressemble de plus en plus à une nouvelle de Philip K. Dick, l'auteur américain de science-fiction qui décrivait un monde d'hyper-sécurité et d'hyperviolence, dans les bêlements d'agneau de la propagande, toujours suave, toujours délicate et toujours, bien sûr, en images.

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