Le 3 janvier nous avons publié un article sur les dessous de l’industrie pharmaceutique, les manipulations et l’influence que son pouvoir de lobbying exerce sur nos sociétés.
Voici maintenant un article qui a paru dans le Devoir qui nous fait part d’un phénomène que nous avons dénoncé depuis longtemps : le biais des études épidémiologiques.
Déjà que l’épidémiologie est une ‘’science’’ très approximative, qui peut être manipulée au gré des bailleurs des fonds et, que ses conclusions, même approximatives, sont fiables seulement en proportion avec l’intégrité du chercheur, voilà que le Devoir nous rapporte que seulement certaines études sélectionnées sont publiées. Nous, le savions depuis longtemps, cependant nous sommes très encouragés que les médias sonnent enfin l’alarme.
L’article traite d’antidépresseurs, cependant le même principe applique sur toute étude publiée dans les revues médicales.
Les antidépresseurs moins efficaces qu'annoncé
89 % des études ayant révélé des résultats négatifs ou discutables n'ont pas été publiées dans la littérature scientifique
Les antidépresseurs ne seraient pas aussi efficaces que ce qui est rapporté dans la littérature scientifique, où ne sont publiées en général que les études ayant abouti à des résultats favorables au médicament. Selon les auteurs d'un article paru dans la dernière édition du New England Journal of Medicine, ce biais dans la publication des données obtenues à la suite d'essais cliniques destinés à vérifier l'efficacité et l'innocuité d'un antidépresseur fausserait la perception qu'auraient les médecins de l'efficacité de ces médicaments et pourrait avoir des effets néfastes sur leur pratique de même que sur les attentes des patients.
Parmi 74 études -- portant sur 12 antidépresseurs -- soumises à la Food and Drug Administration (FDA, l'homologue américain de Santé Canada, qui est responsable de l'approbation des nouveaux médicaments et aliments) par des compagnies pharmaceutiques désireuses de mettre en marché l'antidépresseur mis au point dans leurs laboratoires, 31 % n'avaient jamais été publiées dans des revues médicales parce que leurs résultats ne démontraient pas une efficacité significative du médicament ou son innocuité. En fait, 89 % des études ayant révélé des résultats négatifs ou discutables n'avaient pas été publiées ou bien avaient fait l'objet d'une publication qui présentait les données sous un jour favorable.
Le Dr Erick H. Turner, du département de psychiatrie et de pharmacologie de l'Oregon Health and Science University, et ses collègues qui ont cosigné l'article du NEJM ont évalué que, dans la plupart des publications scientifiques, l'efficacité de l'antidépresseur étudié était grandement surestimée. Ils ont calculé que, selon l'antidépresseur analysé, l'efficacité qu'on reconnaissait au médicament était de 11 à 69 % supérieure à ce qu'elle était réellement. «Les cliniciens qui actualisent leur pratique en lisant les revues médicales penseront donc que le nouvel antidépresseur dont on parle est plus intéressant qu'il ne l'est en vérité», fait remarquer le Dr Turner, premier auteur de l'article.
Ce phénomène, qui est dénoncé depuis une quinzaine d'années par certains chercheurs plus critiques, a fait les manchettes des journaux en 2004 lorsque le ministre de la Justice de l'État de New York a intenté un procès au géant pharmaceutique GlaxoSmithKline pour avoir caché des informations, raconte le Dr Turner. La compagnie n'avait publié que les résultats d'une seule étude clinique sur l'antidépresseur Paxil, utilisé pour soulager les enfants souffrant de dépression, et avait omis de publier les données de plusieurs autres qui ne réussissaient pas à démontrer l'efficacité de ce médicament et révélaient le risque d'idées suicidaires qu'il induisait chez les jeunes auxquels on l'avait administré. La compagnie a finalement été condamnée à une amende et obligée à rendre publics sur son site Web les résultats de tous les essais cliniques qui avaient été effectués avec cet antidépresseur. La compagnie s'est alors conformée à la sentence et a divulgué toutes les données recueillies sur les molécules qu'elle fabrique depuis 2000 seulement, arguant qu'elle ne pouvait fournir d'informations sur ce qui s'était fait avant la fusion de Glaxo Welcome et de SmithKline Beecham, survenue en 2000.
«La compagnie n'a pas accepté de remonter plus loin dans le temps même si les médicaments plus anciens sont aussi importants et répandus que les plus récents, s'insurge le Dr Turner. Cette poursuite, qui a été largement couverte dans les médias, a néanmoins poussé le Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA), un lobby industriel qui représente les grandes compagnies pharmaceutiques et de biotechnologie états-uniennes, à leur emboîter le pas. Le PhRMA a en effet recommandé à ses membres de publier, sur une base volontaire toutefois, leurs résultats sur le site Web de la compagnie. Mais seulement les résultats obtenus depuis 2000. Si vous cherchez à obtenir des informations sur un médicament qui a été approuvé avant cette date-là, vous n'y aurez pas accès, et ce, même si le médicament est encore fréquemment prescrit.»
«Le problème est que les médecins ne connaissent pas l'existence de ces banques de données affichées sur les sites Web des compagnies pharmaceutiques. Les médecins se réfèrent uniquement à la littérature scientifique, souligne le professeur Turner. Or ce biais dans la sélection des résultats qui sont publiés donne l'impression aux médecins que les médicaments donnent de bons résultats dans toutes les études qu'ils voient. Ils seront ainsi portés à croire que ces médicaments sont très efficaces alors qu'ils ne le sont pas tant que ça», explique le chercheur, qui tient toutefois à préciser que ces antidépresseurs ne sont pas complètement inefficaces.
Les observations relevées dans le NEJM ne surprennent pas du tout David Cohen, professeur à l'École de travail social de l'université internationale de Floride et chercheur au GEIRSO-UQAM. En entrevue téléphonique, il souligne les données stupéfiantes obtenues par les auteurs de l'article du NEJM qui écrivent que, «selon ce qui est publié dans la littérature scientifique, il est apparu que 94 % des essais cliniques [menés pour éprouver ces 12 antidépresseurs] avaient abouti à des résultats positifs. En revanche, l'analyse par la FDA de toutes les études effectuées sur ces antidépresseurs [y compris celles qui n'avaient pas été publiées] révélait que seulement 51 % d'entre elles donnaient de bons résultats».
Selon David Cohen, «cela veut dire qu'une étude sur deux montre que l'antidépresseur est aussi bon que le placebo. Or il faut aussi prendre en considération le fait que les études ont souvent un biais en faveur du médicament. Les études sont méthodologiquement faites pour que le médicament ressorte comme étant supérieur au placebo.»
«On use de diverses manoeuvres pour que le médicament apparaisse sous un jour le plus favorable possible. Par exemple, on exclut souvent les personnes qui répondent très bien au placebo au tout début de l'étude afin de rehausser les résultats potentiels positifs que l'on attribuera au médicament», indiquait au Devoir le même chercheur le 22 octobre dernier.
«Malgré tout cela, la moitié des études n'arrivent pas à démontrer la supériorité de l'antidépresseur par rapport au placebo. L'antidépresseur moderne est un placebo commercialisé avec une publicité. Il a peut-être un effet psychotrope, mais celui-ci est augmenté par la publicité qui réverbère partout, par les cliniciens qui sont optimistes et par l'attente créée chez le patient», lance David Cohen.
Les auteurs de l'article du NEJM avouent par ailleurs ne pas avoir réussi à déterminer si cette pratique de «publication sélective», comme ils la dénomment, résultait d'un choix délibéré des chercheurs et de la compagnie pharmaceutique qui les subventionne de ne pas soumettre de manuscrits pour publication quand les résultats de l'étude n'étaient pas aussi positifs qu'ils le souhaitaient ou si elle découlait du refus des réviseurs et des rédacteurs en chef de les publier.
Chose certaine, cette coutume de ne rendre publiques que les études ayant donné des résultats encourageants et de glisser sous le tapis celles qui se sont conclues par des résultats négatifs est dangereuse, car elle donne un portrait idyllique des médicaments, mais peu fidèle à la réalité. «Le portrait qui est offert aux cliniciens, au public et aux décideurs est un portrait complètement tordu. Et si on n'a pas les bonnes informations, on ne peut pas prendre les bonnes décisions. Même les médecins les plus consciencieux ne peuvent rien y faire car ces informations sont cachées, elles ne sont pas accessibles», martèle David Cohen.
Il s'agit d'une forme de désinformation trompeuse qui peut inciter les cliniciens à prescrire en toute confiance un médicament alors qu'ils devraient demeurer très vigilants.
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