Tuesday 22 April 2008

LA DÉLATION, DEVOIR DE CITOYEN OU MESQUINERIE ?

Du site L’Encyclopédie de l’agora

"C'était une des vilaines choses de l’admirable civilisation romaine impériale, que la dénonciation y fût admise florissante et fructueuse. L’empereur, c’est-à-dire l’État, bénéficiait de la fortune du malheureux convaincu du crime vague de lèse-majesté, mais le dénonciateur en recevait une partie. Ni son acte ni ses profits ne disqualifiaient le delator, car il était hypocritement convenu qu’il n’avait parlé que pour le bien public." (Remy de Gourmont, «Le dénonciateur», Épilogues. [Première série]. 1895-1898. Réflexions sur la vie)

Nous vivons dans un contexte tellement réglementé, que nul besoin de chercher trop loin pour trouver quelqu’un qui enfreint une loi ou une autre, mais, comme Me Julius Grey nous le signale, les délateurs n’ont jamais jouis d’une réputation enviable. Pourtant nos gouvernements qui se servent de nous comme policiers à rabais, nous encouragent dans cette voie. Cependant le prix de la méfiance entre citoyens, est un prix trop cher à payer pour une société qui a tout intérêt d’évoluer dans l’harmonie et la paix sociale.

Si les délits de nos concitoyens nous heurtent vraiment, ne vaudrait-il pas mieux d’avoir le courage d’en discuter avec eux au lieu de moucharder lâchement à papa gouvernement ? Il va naturellement sans dire, que nous sommes tout à fait d’accord que certains délits graves, qui mettent en danger la vie d’une tierce personne ou un mineur, doivent être dénoncés sans aucune hésitation.


La chronique de Julius Grey du Journal de Montréal
La délation moderne

La dénonciation n'a jamais jouie d'une bonne renommée. «Délateur», «cafard», «mouchard», «mouton» sont des injures lancées à travers les siècles à ceux qui trahissaient leurs amis ou leurs voisins.

Pourtant, notre société encourage souvent la délation. Les ordres professionnels, les institutions gouvernementales, l'immigration, la police nous conseillent de dénoncer. Loin d'être traité de déshonorable comme jadis, celui qui se plaint peut acquérir le statut prisé de «victime» contre qui on ne peut plus rien dire.

Il faut ajouter que plusieurs lois rendent la délation obligatoire et que, parfois, on mobilise même l'avocat contre son client et le médecin contre son patient. La réaction excessive à l'attentat du 11 septembre 2001 a fait disparaître beaucoup de réticences traditionnelles. En conséquence, on dénonce allégrement.

Certains ont essayé de justifier la délation moderne par un argument «démocratique». Selon eux, la dénonciation au profit des tyrans ou des rois absolus était effectivement honteuse, surtout en matière d'opinion politique. Mais, disent-ils, cela ne tient plus dans une démocratie où les lois sont légitimes; les opinions politiques ne peuvent être réprimées, et chaque citoyen doit défendre la liberté.

Cette distinction est trompeuse. Tous les régimes dans l'histoire condamnaient ceux qui avaient collaboré avec leurs prédécesseurs déchus tout en encourageant le mouchardage pour maintenir le bonheur qu'ils apportent. De plus, il est téméraire d'affirmer qu'une démocratie ne réprime jamais les opinions impopulaires ou que toutes les lois adoptées par elle sont justes.

Dans tous les systèmes, l'observance pointilleuse des lois est aussi épeurante que la non-observance généralisée. Il faut porter un jugement moral sur chaque cas. Le délateur n'en porte normalement aucun. Il participe d'une application aveugle des règles.

PERSONNE N'EST À L'ABRI

Notre société présente des opportunités particulièrement inquiétantes pour la délation. Le nombre de lois et de prohibitions est en pleine ébullition et, en conséquence, personne n'est à l'abri de mauvaises langues. De plus, Internet facilite la compilation de renseignements sur chacun. La dénonciation quotidienne pourrait bientôt créer une atmosphère de peur dans une société nominalement démocratique.

Il faut admettre que beaucoup de citoyens aiment dénoncer. Non seulement dénoncent-ils les actes criminels sérieux, mais encore ils sont souvent enthousiastes à se plaindre contre les professionnels ou à livrer des «illégaux» à l'immigration. Certains poussent leur plaisir jusqu'à informer les époux trompés des incartades de leur tendre moitié. Souvent, ces délateurs sont hypocrites et aussi coupables que ceux qu'ils livrent à la justice. Typiquement, ils sont motivés par une jalousie mesquine plutôt qu'un idéalisme quelconque.

Il n'est pas simple de trouver une bonne façon de décourager la délation. D'abord, nous ne pouvons pas promouvoir le crime ou l'anarchie, donc il faut dénoncer ceux qui sont dangereux. Par contre, surtout en matière d'immigration, de fiscalité ou de vie privée, la délation devrait garder sa mauvaise réputation et le délateur, le mépris qu'il mérite et qui risque de le freiner. Il faut particulièrement condamner et ignorer la dénonciation anonyme, qui permet au mouchard d'éviter ces désagréments.

L'éducation des jeunes est très importante. Tous les parents ainsi que les écoles doivent inculquer un sens de l'honneur qui est normalement incompatible avec la dénonciation. Souvent, on a l'impression que l'honneur et la honte sont des sentiments en voie de disparition. Leur résurrection irait loin pour nous protéger contre un monde de mouchardage, de méfiance et de peur.


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