Voici un appel de s'impliquer dans le débat qui nous parvient de deux scientifiques français qui dénoncent la répression à laquelle les citoyens qui fument ou boivent sont soumis. Nous encourageons tous nos membres et visiteurs d’exprimer leur opinion en écrivant aux adresses fournies par ces deux intervenants de la santé publique en France et de partager ce document avec le plus grand nombre de citoyens possible.
Alcool, tabac. Gare au pavé de l'ours
Hygiénisme moral, puritanisme d'Etat, ou lobbies industriels ?
Un appel à réagir
19 Novembre 2007
Guy CARO, Robert MOLIMARD*
Alcool, tabac. Gare au pavé de l'ours
Hygiénisme moral, puritanisme d'Etat, ou lobbies industriels ?
Un appel à réagir
19 Novembre 2007
Guy CARO*, Robert MOLIMARD**
L'enfer est pavé de bonnes intentions. Cirrhose du foie, cancer du poumon, delirium tremens, accidents de la route, infarctus…, qui ne souhaiterait voir alléger la charge que l'alcool et le tabac font peser sur les individus et la société ? Mais quel démon nous fait donc abandonner tout sens critique, et emboîter le pas aux cow-boys puritains d'outre atlantique qui n'ont rien appris du passé ?
Depuis la nuit des temps, l'Homme a découvert les boissons fermentées. Les ligues de vertu et les prohibitions musclées n'ont pu les éradiquer. Ces politiques, que leurs effets pervers avaient fait abandonner, reviennent en force. L'histoire du tabac est plus récente. En moins d'un siècle après la découverte de COLOMB, la plante américaine a gagné le monde entier, uniquement par le bouche à oreille. Ni presse, ni radio, ni télévision n'étaient alors là pour en faire la publicité. Pas d'industrie du tabac pour le promouvoir. Mieux, en Turquie Amurat IV coupait le nez des priseurs et décapitait les récidivistes. Urbain VII les excommuniait. Même féroce, la répression n'a pas endigué l'épidémie. Evoquant la possible suppression du vin et du tabac, Alexandre Dumas fils écrivait: "il n'y faut point songer. Tous nos articles et toutes les sociétés de tempérance du monde n'y feront rien. Le phylloxera lui-même y a renoncé. On n'a jamais fait autant de vin que depuis que la vigne n'en produit plus, et l'on n'a jamais tant fumé que depuis que les cigares ordinaires sont infumables et que les bons cigares sont hors de prix". .
Une telle puissance de pénétration de ces produits dans les sociétés les plus diverses, l'énorme sacrifice financier qu'y consentent les plus pauvres ont un sens. Ils témoignent de leur rôle majeur dans l'équilibre des individus et l'harmonie de la société. Evidemment nous, médecins, avons à lutter contre l'ivresse aiguë à l'anglo-saxonne, l'ivrogne qui rentre, bat sa femme et casse tout, contre l'intoxication régulière et massive qui détruit le foie et le cerveau. Mais pourquoi partir en guerre contre ce qui peut détendre après un stress, cette légère gaité pimentant les jours de fête, ou les plaisirs subtils de la conjonction des arômes des plats et des vins qui fait notre fond culturel français? Le tabac est plus dur. Une grande majorité de fumeurs ne peut se limiter à une consommation hédonique et festive. Bien qu'il ne perturbe pas le fonctionnement du cerveau, au contraire, le tabac donne hélas le cancer et l'infarctus. Mais aussi combien de fumeurs plongent dans une dépression profonde dès qu'ils arrêtent, dont ils ressortent en refumant. Les schizophrènes y trouvent une automédication. Il augmente la vigilance, stimule, détend. Comme l'alcool et le café, il noue le lien social. Il faudrait garder les bénéfices, en limitant les risques.
Mais c'est là que tombent les masques. L'arme absolue contre le tabagisme passif, prétexte à cette prohibition généralisée, existe. Sucer du tabac, comme les suédois, ne fait pas de fumée, ne gêne pas les voisins, ne cause pas d'incendies. Qui plus est, leur "snus" ne fait pas de cancers du poumon, de bronchites chroniques, pas d'artérites et d'infarctus. Les meilleurs experts disent que cette façon d'utiliser le tabac diminuerait de 98% les risques encourus. Tout médecin, tout responsable de santé publique devrait donc pousser les fumeurs à au moins abandonner leur cigarette pour un tabac moins dangereux pour tous, et l'Europe à lever la stupide et néfaste interdiction de sa vente, à laquelle échappe la Suède. Mais, toujours au nom de la santé publique, qui cache certainement mal de sordides intérêts commerciaux, les mêmes activistes puritains s'y opposent, ignorant les preuves épidémiologiques et suscitant des travaux scientifiques pour lui trouver un danger résiduel justifiant le maintien de l'interdit.
Interdictions, taxes prohibitives, contrôles sont source de résurgences malsaines, contrebande, contrefaçon, produits frelatés, petite délinquance et grande criminalité. Ils imposent des contraintes pas toujours réellement justifiées, injustement pénalisantes pour la grande partie de la population qui sait boire avec discernement et comprenait peu à peu qu'il n'est pas correct d'enfumer son voisin. Et l'on pousse toujours plus loin la chasse à la fumée. En Californie, on ne peut plus fumer dans la rue ou dans les parcs de Calabasas (sauf au supermarché!!). Ailleurs, une femme est condamnée à ne pas fumer dans son jardin, on interdit de fumer en voiture, chez soi sur son balcon ou si le voisin sent l'odeur de tabac qui, passant sous les portes, a traversé le palier. Certains proposent même d'enlever ses enfants à qui fume à la maison, l'assimilant à un "child abuser" (pédophile)! Les schizophrènes qui ne peuvent sortir de l'hôpital sont de fait interdits de fumer. De même en prison: double peine. Et aux USA, l'interdiction de fumer dans les couloirs de la mort? Plus de dernière cigarette et de verre de rhum? C'est le retour à la barbarie.
Les "Bar-Tabac" ont raison. Il est faux que l'on risque sa vie en y pénétrant une minute pour acheter son journal. Personne n'est obligé d'aller s'accouder à un comptoir pour refaire le monde. Il est vrai que les liens sociaux tissés en ces lieux sont irremplaçables, quand l'individualisme moderne isole tant de gens devant leur télévision. L'interdiction d'y fumer est contestée, et contestable, notamment dans des régions comme la Bretagne où des risques de fermetures peuvent affaiblir le lien social, l'animation culturelle et la convivialité de territoires ruraux et de quartiers urbains.
Quand nous parlons de "convivialité", c'est dans un sens très précis. Le mot signifie "vivre ensemble" puis "invité d'un repas". C'est être ensemble, avec des échanges chaleureux entre membres d'un groupe, notamment dans les moments et les lieux des repas. On peut fumer si les conditions s'y prêtent, ou s'en abstenir. On peut boire ou pas, des boissons alcoolisées ou non, mais dans le respect de la différence de l'autre. Nul ne se sentira culpabilisé s'il fume dans le respect de l'autre, ou, s'il boit de l'eau, stigmatisé et incité à "prendre un verre".
Les fumeurs étaient allés trop loin. L'inconfort seul qu'ils infligent à leur entourage justifie les interdictions de fumer dans des lieux collectifs, de travail. Il est impératif qu'on ne fume pas dans les établissements d'éducation, où l'on doit apprendre la liberté, pas l'esclavage. Déjà, depuis la loi Evin, on ne fumait plus dans les réunions, dans les trains, les avions. Fallait-il en rajouter? Pour faire passer la pilule, on brandit les risques encourus par le disk-jockey ou le barman. Mais ils connaissaient les risques du métier avant de le choisir. Les pompiers exigeraient-ils de ne pas être exposés au feu, les militaires aux balles? Faut-il aller si loin au nom d'un stupide "principe de précaution" qui voudrait qu'on interdise immédiatement le foot, l'alpinisme et le vélo, voire de traverser les rues. On ment sur les risques que la fumée des autres fait courir aux non-fumeurs.. L'enquête européenne (Lifting the smokescreen) qui lui attribue près de 6000 décès en France, a été capitale pour obtenir la généralisation de l'interdiction. C'est pourtant une véritable escroquerie, puisque elle y inclut 5000 vrais fumeurs actifs, sous prétexte qu'ils respirent l'air pollué de la pièce où ils fument! On change la définition même du tabagisme passif, ce qui aurait dû soulever un tollé de la part des "scientifiques". Mais c'est "pour la bonne cause", qui justifie des moyens qui devraient la discréditer.
Cela commence doucement. Pour protéger les enfants, on supprime à Lucky Luke sa cigarette, pour la remplacer par de l'herbe. Les enfants comprennent, ils passent au cannabis! Qui pourtant a toujours été interdit, sans publicité, et cher. On enlève sa cigarette à Clint Eastwood, …mais on lui laisse son flingue. Quel symbole! Comme on faisait disparaître Trotsky des photos officielles, on gomme la cigarette de Jean Paul Sartre, et ainsi le rôle du café de Flore ou des Deux Magots. Crime culturel.
Mais est-ce efficace? On se réjouit de la baisse à 29% du pourcentage de fumeurs relevée par l'enquête INSEE de 2003, on transforme en "nombre de vies sauvées". Mais on passe sous silence les résultats de l'Eurobarometer la même année, qui enregistre une hausse à 44%. On ne se questionne pas sur ces discordances. La protection des jeunes est la tarte à la crème, et leur comportement de plus en plus préoccupant, qu'il s'agisse d'alcool ou de tabac, "Il faudrait qu'ils ne commencent pas". Ce serait aller à l'encontre de leur curiosité, de leur instinct de découverte. Face à la diversité et à la complexité des manières de boire et de fumer, les discours et pratiques dominants, publics ou privés, les programmes de prévention sont d'évidence inadaptés, souvent inefficaces et même porteurs d'effets pervers. Sans évaluation réelle du poids de leurs conséquences négatives par rapport à leur bénéfice, on réclame sans cesse de nouvelles augmentations de prix du tabac, qui enfoncent les précaires dans la pauvreté et remplissent les restaurants du cœur.
Le calme précède souvent la tempête. Le mur de Berlin semblait éternellement figer une société réprimée. La vraie liberté est dans la recherche des solutions dans un débat démocratique non biaisé, pas dans l'anarchie qui suit les révoltes.
Nous lançons un appel solennel à tous ceux qui voudraient voir aborder enfin les graves problèmes de l'alcool et du tabac avec une vision à la fois réellement scientifique et humaniste, pour leur apporter des solutions efficaces, et non de la poudre aux yeux. Car la véritable victime du tabac est le fumeur, comme l'ivrogne celle de l'alcool. Il serait urgent qu'ils cessent de consommer, ou adoptent des formes d'usage moins dangereuses. Il faudrait les aider, on les enfonce. Il est scandaleux que la répression soit la seule formule retenue, quand toute l'histoire du monde prouve qu'elle est inefficace et conduit fatalement à un rejet. Il serait temps que cesse la censure de toute voix contradictoire et que s'instaure un véritable débat. Il est scandaleux qu'aucune équipe scientifique au monde ne soit consacrée à la recherche sur le tabac, et que celle sur l'alcool ne soit pas à la hauteur des enjeux. Il est scandaleux que l'argent public qui pourrait susciter de tels travaux soit gaspillé pour compenser les dégâts sociaux et commerciaux provoqués par une augmentation de prix, dont les effets pervers sont patents et les bénéfices spécifiques non prouvés. Il est scandaleux que la conséquence directe de cette politique répressive, derrière laquelle on sent poindre la puissance de certains lobbies, soit le pillage de la Sécurité Sociale. Scandaleux qu'on lui fasse offrir à tout fumeur des médicaments guère plus actifs qu'un placebo, contre la règle qui lui interdit de rembourser ceux dont on fait la publicité dans les medias, quand nous devrions financer des recherches et des approches essentiellement basées sur des modifications psychologiques et culturelles.
Appel
La politique actuelle à l'égard de l'alcool et du tabac va à l'encontre des traditions françaises de liberté et de convivialité. Sous prétexte de santé publique, elle exprime une idéologie puritaine, prohibitionniste, totalitaire, cachant mal des conflits d'intérêts. Essentiellement répressive, elle n'a pas démontré son efficacité, surtout chez les jeunes. Elle ne prend pas en compte ses effets pervers, souvent délibérément cachés. Elle censure l'expression d'opinions contraires, refusant le débat démocratique qui permettrait de trouver les meilleures solutions adaptées à notre pays et à ses caractéristiques culturelles régionales.
Nous appelons à s'exprimer et à se manifester dans ce débat, au niveau des régions et au niveau national :
- les professionnels de santé
- les chercheurs et enseignants des disciplines socio-culturelles
- les producteurs et distributeurs de boissons alcoolisées et de tabac, cafés, restaurants, bars-tabacs
- les journalistes et responsables des médias
- les artistes, créateurs, acteurs et animateurs sociaux et culturels
Pour :
1 – Etudier et informer
Contribuer à mieux connaître et faire connaître les faits, analyses, études et statistiques qui mettent en question les discours officiels "sanitairement corrects". Rechercher et dévoiler les conflits d'intérêt qui les sous-tendent.
2 – Innover, expérimenter, évaluer, diffuser
Mettre leurs compétences scientifiques, médicales, culturelles, politiques au service de la recherche et d'évaluation, au niveau régional et national, de solutions humaines et efficaces aux problèmes posés par l'alcool et le tabac, et de leur diffusion.
Pour se joindre à cet appel
Si vous vous sentez concerné par cet appel,
Si vous estimez pouvoir être utile dans un groupe de réflexion et d'action pour réagir dans le sens défini dans le présent appel,
vous pouvez prendre contact avec :
Pr Guy CARO, 40 B rue du Docteur LEON 35740 PACÉ
Pr Robert MOLIMARD r.molimard@tabacologie.fr
*Guy CARO : Je suis médecin-psychiatre, alcoologue et enseignant-chercheur à Rennes.
Coresponsable, avec un chercheur CNRS, Yvon Bertrand, d'une recherche interdisciplinaire sur "Alcoolisme et Bretagne" de 1974 à 1977. A partir de 1981, j'ai animé une recherche-appliquée sur "Manière de boire et problèmes d'alcool" associant des activités de thérapeutique, de formation initiale et continue et de prévention des problèmes d'alcool en milieu scolaire, en sécurité routière, en entreprise.
J'ai été professeur, fondateur et coresponsable du laboratoire de recherche "Alimentation – Breuvages – Cultures" à l'Ecole Supérieure de Commerce de Rennes, de 1999 à 2005.
Principaux ouvrages : "De l'alcoolisme au bien boire" dirigé avec Edgar Morin, Ed. L'Harmattan, Paris, 1990 ; "Aspects socio-culturels de l'usage et de l'abus d'alcool et stratégies de prévention par l'éducation. Interdire, diaboliser ou apprivoiser l'alcool ? Ed. U.N.E.S.C.O., Paris, 1995. Traduction en anglais et espagnol ; "De l'alcoolisme au savoir-boire". Ed. L'Harmattan, 2006, 2ème édition 2007.
*Robert MOLIMARD : Je suis professeur Honoraire de physiologie à la Faculté de Médecine Paris-Sud. Ancien Chef de service de Médecine Interne à l'Hôpital Max Fourestier à Nanterre, je me suis consacré à la prise en charge des fumeurs et, dans mon laboratoire, à l'étude expérimentale de la dépendance au tabac.. J'ai fondé en 1983 la première société savante destinée à promouvoir la recherche scientifique sur le tabac et le tabagisme, et ai forgé pour elle le mot de "Tabacologie". Je l'ai présidée jusqu'à la disparition de la "Société de Tabacologie" en 2004. En 1986, j'ai créé le premier enseignement universitaire sur le tabac. A 80 ans, je continue à organiser ce "Diplôme Interuniversitaire de Tabacologie Paris 11/Paris 12", qui, avec près de 1000 diplômés, a jusqu'ici formé la grande majorité des tabacologues français.
J'ai fait part de son expérience dans un ouvrage, "La Fume " (2003), et donné mes conseils aux fumeurs dans le "Petit Manuel de Défume" (2007), publiés aux éditions SIDES:
Déclaration de conflits d'intérêts : Le décret n°2007-454 du 25 mars 2007 faisant injonction aux membres des professions de santé de déclarer leurs liens éventuels , nous déclarons sur l'honneur n'avoir aucun lien d'intérêt avec les industries et entreprises pharmaceutiques, tababagières ou alcoolières, et n'en tirer aucun avantage personnel..
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